Au bout du rouleau… ou la mémoire d’un vieil oscilloperturbographe

Par Pascal O. avec l’appui de Didier C et de Claude F.

 

Comme il a été écrit dans notre article sur l’analyse des incidents, un retour d’expérience est nécessaire pour mieux comprendre certains incidents complexes et/ou pour détecter les potentiels écarts de fonctionnement des protections par rapport au service attendu.

Pour ce faire, il est nécessaire de disposer d’un suivi fin des courants et tensions sur les ouvrages du réseau.

Or, avant les années 80, la seule façon d’enregistrer ces données était de disposer d’enregistreurs à aiguilles encrées écrivant sur un papier qui se déroulait en permanence.

De tels enregistreurs existaient, pour quelques mesures, notamment dans les dispatchings ou dans les salles de conduite de la Production. Malgré la présence de personnel de quart, les dysfonctionnements de tels appareils étaient fréquents (encre ayant séché dans les aiguilles, difficulté d’entraînement du papier (blocage ou déchirement)). De plus ces enregistreurs permanents étaient, par nécessité, assez lents. Cela se traduisait par un enregistrement de grandeurs moyennes utiles à l’exploitation courante mais inutilisables pour une analyse détaillée des incidents faute de disposer des informations sinusoïdales.

Avec la création des groupements de postes, la majorité des postes n’avait plus de personnel de quart et pouvaient rester pendant des périodes assez longues sans présence de personnel. Utiliser les enregistreurs classiques n’aurait pas permis de répondre aux attentes compte tenu des limites évoquées ci-dessus.

Il fallait donc trouver une parade à ce problème et n’enregistrer les informations intéressantes qu’aux moments opportuns et avec définition temporelle suffisante.

Faire démarrer l’enregistrement en utilisant les signaux émis par les mises en route des protections du poste ne répondait qu’incomplètement aux besoins :

  • Cela ne permettait pas de disposer des mesures quelques instants avant le défaut, ni même celles du début du défaut car la mise en route de la protection nécessite un temps, certes court, mais non nul.
  • Il est probable que l’inertie au démarrage du rouleau papier aurait faussé la mesure des temps dans les tout premiers instants du défaut, 
  • Et enfin l’encre aurait inévitablement séché pendant la période d’inactivité de l’appareil, le temps entre deux défauts sur le même poste étant, heureusement, assez long.

Le challenge était ardu, mais pourtant il a été relevé à l’aide de l’astuce suivante :

Les aiguilles du dispositif retenu, animées par les images électriques des grandeurs à surveiller, frottent sur un cylindre métallique en rotation permanente. Ce cylindre est encré en permanence par un dispositif simple (rouleau par exemple). Le fait de ne pas encrer les aiguilles mais d’encrer le rouleau diminue très fortement les risques d’encrassement. Dans la solution retenue, les aiguilles se contentent d’enlever l’encre localement sur le cylindre métallique ce qui donne une sorte de tracé  “en négatif”  par rapport aux enregistreurs classiques.

Le passage du cylindre contre le rouleau encreur efface les tracés qui figuraient  « en creux » et redonne son aspect « vierge » au cylindre métallique.

Lors de sa mise en route, la protection envoie un signal à l’oscilloperturbographe qui vient alors plaquer le rouleau de papier contre le cylindre métallique : il s’ensuit un transfert du tracé figurant sur le cylindre vers le papier selon le principe des tampons encreurs de notre jeunesse.

Le décalage angulaire – ¼ de tour – entre l’endroit où les aiguilles tracent et celui où le papier est pressé sur le cylindre permet d’imprimer une partie des données enregistrées avant le moment du défaut (voir le schéma de principe ci-dessous).

Il est donc possible moyennant une certaine ingéniosité de mémoriser un peu de passé sans disposer des facilités de l’électronique ou de l’informatique…

Mais aucune solution, si ingénieuse fût-elle, comporte aussi des inconvénients :

  • Le très grand nombre d’enregistrements en cas d’orage car pour une ligne foudroyée, il y a normalement un enregistrement à chaque extrémité de la ligne, mais aussi des enregistrements sur des ouvrages environnants dont les protections se sont mises en route car impactées par le courant de défaut. Ainsi près une période orageuse, il y avait fréquemment plusieurs mètres d’enregistrements sous de nombreux appareils que les exploitants devaient collecter et gérer. C’est pourquoi, dans les années 60, il y avait, au CRTT Paris, 3 agents à plein temps pour traiter de l’analyse des incidents.
  • L’entretien et le dépannage des enregistreurs dont la complexité mais aussi les difficultés à se débarrasser de l’encre omniprésente rendait rébarbatives les tâches de maintenance.
Schéma de principe
Oscilloperturbographe Thomson CSF
Restitution pour un incident au poste de Verfeil

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